Corps invisibles / Henri Maccheroni

© Henri Maccheroni
Deux parmi les 2000 photographies du sexe d'une femme prises de 1969 à 1971, puis de 1972 à 1974, par Henri Maccheroni, peintre et photographe.
Une démarche sérielle obsessionnelle, une continuité/contiguïté menée jusqu'à l'épuisement. Pourtant, en dépit de cette immédiateté, une absence totale d'érotisme ou d'obscénité. Le référent anatomique, même, échappe.
Ce sexe de femme frontal, en gros plan, n'est pas dévoilé (contrairement à l'Origine du monde de Gustave Courbet, toile longtemps secrète, cachée, exposée au grand public depuis 15 ans seulement au Musée d'Orsay). Dépossédé de son corps, mis à plat, il est immatériel. Absurde.
Il n'y a plus de femme. Ni objet, ni sujet, il se convertit en signe.
La série devient la déclinaison d'une abstraction.


Marc Riboud

I comme Imiter, Chine, 2002.
© Marc Riboud

Il y a, chez Marc Riboud, une profonde cohérence entre le fond, la forme et l'homme. Depuis plus de soixante ans qu'il promène son regard de la Chine à l'Afrique, de l'Iran au Vietnam, du Japon au Etats-Unis, Marc Riboud considère le monde avec un œil inchangé, vif, curieux, d'éternel jeune homme. Tour à tour tendre, indigné, mélancolique ou amusé, dépourvu de cynisme, d'arrogance, d'artifice. Toujours enthousiaste.
Il suffit de regarder son dernier ouvrage, I comme Image, réalisé avec la complicité de Catherine Chaine. Destiné aux enfants, ceux-ci se plongent immédiatement dans l'œuvre du photographe. Non pas parce qu'elle est facile, mais parce qu'elle est vivante, expressive, contagieuse parce qu'accessible. Rapidement les questions fusent, les rires retentissent, les yeux rêveurs se perdent dans les images. Ils sont immédiatement complices, conquis. Des images douces et poétiques de M comme Maman ou A comme Amies, des réjouissants D comme Derrières (les fessiers rebondis de cubaines replètes) ou C comme Culotte, des révoltants I comme Injuste ou P comme Paresseux...
Et irrésistiblement, ses photographies nous rendent notre part d'enfance, nous délivrent de notre amertume, aiguisent notre curiosité. Marc Riboud est un éternel jeune homme qui nous réconcilie un peu avec le monde et avec nous-mêmes.


A lire : I comme Image, Marc Riboud, Catherine Chaine, Gallimard Jeunesse.

Wanda Wulz / Io + gatto, 1932.

© Fratelli Alinari

Réalisé par Wanda Wulz, figure de la photographie futuriste, cet autoportrait  troublant met en œuvre un procédé pourtant simple : la surimpression de deux prises de vues sur un même tirage. Le résultat, savamment mis en place par la superposition parfaite des deux regards, donne naissance à une créature hybride ; la femme se confond avec le chat et inversement, l'une sans cesse répliquant à l'autre.

Elle jouait avec sa chatte, / Et c'était merveille de voir / La main blanche et la blanche patte / S'ébattre dans l'ombre du soir.
Elle cachait - la scélérate ! - / Sous ces mitaines de fil noir / Ses meurtriers ongles d'agate, / Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre faisait aussi la sucrée, / Et rentrait sa griffe acérée / Mais le diable n'y perdait rien... / Et dans le boudoir, où, sonore, / Tintait son rire aérien, / Brillaient quatre points de phosphore.

Paul Verlaine, Femme et chatte, in Poèmes Saturniens.

Transsibériades



© Klavdij Sluban

Il y a dans l'œuvre de Klavdij Sluban quelque chose de la saudade, de ce sentiment si difficile à exprimer dans une autre langue. Ce mélange de nostalgie, de mélancolie, cette longueur du temps qui s'écoule, cette langueur aussi. Ce sentiment des déracinés. Quelque chose de la perte et de la reconquête.
Allers-retours.
Chacune de ses images dit autant de ce qu'il a photographié que de lui-même. Il laisse son empreinte et déteint dans chaque image, dans ses voyages, ses trajets.
Dans La disparition des lucioles Denis Roche écrit : "Mais de même qu’il ne saurait y avoir de photographies de la littérature, il ne saurait y avoir de littératures de la photographie, car la «littérature » de la photographie, c’est la photographie elle-même." Rien ne saurait mieux décrire l'œuvre de Sluban.

Gaël Turine / Voodoo

Haïti, juillet 2005.
© Gaël Turine

Que sommes nous ? D'où venons-nous ? Où allons nous ?

L'eau et la lumière ruissellent sur le torse de l'adolescent. L'image nous renvoie à l'absolu d'un état originel, d'une communion charnelle et spirituelle de l'homme avec la nature. Les bras en croix, le regard extatique, évoquent l'iconographie des représentations du christ.
Cette photographie condense tout le sens du long travail de reportage que Gaël Turine a consacré au vaudou. Du Bénin en passant par Haïti et les Etats-Unis, il donne à voir avec un regard puissant, bouleversant d'intensité et d'émotion, un culte qui traduit l'histoire d'un peuple. Chacune de ses images rend compte de l'acharnement à vivre et à maintenir son identité et sa culture, à travers sa spiritualité, d'un peuple arraché à sa terre et réduit en esclavage. Il affranchit le vaudou de toute dimension spectaculaire. Loin de tout folklore, il l'aborde comme une véritable forme de spiritualité  et invite à pénétrer ses mystères, comprendre ses origines comme ses liens avec le christianisme.
En faisant oeuvre de mémoire, Gaël Turine génère une ardente oeuvre de photographie.

A voir / à lire : Voodoo, photographies de Gaël Turine, textes de Gaël Turine, Laennec Hurbon, Laurent Gaudé, Caroline Milic, éditions Lannoo, Bruxelles, 2010.
Le site internet de Gaël Turine