Avrile / Barbie, New York

©Avrile


Certains photographes de mode exhibent les êtres humains comme des poupées. Ils usent des mannequins (ne parle-t-on pas d’ailleurs de poupées mannequins ?) comme de pantins, écrans malléables de projection des fantasmes : aboutissement enfin de la femme définitivement devenue objet par le truchement de l’image, captive, offerte, soumise, consentante, consommable. Déshumanisation, désarticulation, brillance plastique, art du toc, du lisse, du sans bavure, du mouvement gelé sur papier glacé. La vie, alors, succombe et réprime un dernier soupir.
Ici, le contre-pied (le pied de nez ?) vient s’imposer comme une évidence : c’est l’objet qui devient femme et revêt subitement l’apparence illusoire de la vie. Poupée icône, catalyseur d’un éternel féminin figé de silicone, la belle Américaine soudain prend vie. L'usurpatrice intègre le monde réel pour y acquérir une existence tangible. Femme-objet contre poupée-sujet, Avrile manœuvre le paradoxe avec un soupçon d'ironie dans la mise en œuvre comme dans la mise en scène.
Mais il ne s'agit pas seulement dans son travail de déjouer les règles de la femme-poupée à la poupée-femme et de se jouer de ce qui semble aujourd'hui devenu la norme du désirable aseptisé. Il s'agit aussi d'une question d'affect. Car Avrile, d’abord, joue bien à la poupée. Pris au jeu, on retombe, complices de la duperie, régressifs en somme, en enfance. La robe de princesse, les bijoux scintillants, le maquillage irréprochable, la coiffure apprêtée… Tout y est.
Barbie à New York, Barbie à la plage, Barbie qui défile… Avrile nous raconte des histoires, elle invente les rôles, les personnages, les situations. Compose avec soin des fictions. Compose avec soin ses images, aussi. Rien n'est laissé au hasard, du pli impeccable de la robe au fard délicat de l'œil, de l'éclairage qui frôle la joue à l'élégance étudiée de la pause.
Avrile exhibe les poupées comme des êtres humains. Elle use des Barbies comme de mannequins, écrans malléables de projection de ses chimères : aboutissement enfin de l'objet équivoque presque devenu femme par le truchement de l’image. Humanisation, articulation, brillance charnelle. La vie, alors, resurgit et exhale son premier soupir.