Voir la mort en face. Car à l'évidence, cet homme (cette femme, peut-être, le plan est trop serré...), cet autre, est mort. La lumière rasante révèle chaque pore de la peau où le sang séché a coulé. L'œil est vide.
La mort en face. L'effroi et l'obscène.
La série La morgue, dont cette photographie est extraite, (45 tirages cybachromes en grand format), a suscité de violentes réactions à chaque exposition.
Alors pourquoi précisément ces photographies de Serrano provoquent un tel sentiment d'indécence ?
Les corps ne sont montrés que par fragments. Un corps dans son entier est un individu. Ici, les corps sont morcelés, décontextualisés à la fois dans le temps et dans l'espace (transportés hors du monde sensible, extatiques). Désincarnés de toute identité, ils me renvoient, scandaleusement, à un autre moi-même. Memento mori.
Les photographies de Serrano n'ont pas de visée documentaire. Elles sont encore moins du reportage. Le soin apporté au cadrage, à la prise de vue, aux couleurs, le format des tirages : il s'agit bien d'une démarche picturale. Mais à l'inverse de la peinture, la photographie réclame une contiguïté au réel. Une flagrante concomitance avec la mort. Obscène. Ici s'exhibe ce qui ne devrait pas être montré : la mort à l'œuvre.