Andres Serrano / The Morgue, Hacked to Death II



Voir la mort en face. Car à l'évidence, cet homme (cette femme, peut-être, le plan est trop serré...), cet autre, est mort. La lumière rasante révèle chaque pore de la peau où le sang séché a coulé. L'œil est vide. 
La mort en face. L'effroi et l'obscène.
La série La morgue, dont cette photographie est extraite,  (45 tirages cybachromes en grand format), a suscité de violentes réactions à chaque exposition.
La mort est pourtant un sujet récurent de la photographie : reportages de guerre, photographies judiciaires, photographies post mortem  — une tradition du 19e, les défunts montrés comme des vivants pour figurer dans l'album de famille, beaucoup de portraits d'enfants en bas âge, morts, dans les bras de leur mère, des hommes célèbres sur leur lit de mort (Hugo, Proust...). De nombreux cadavres jonchent l'histoire de l'art, des gisants aux études anatomiques, de l'iconographie chrétienne (crucifixions, martyres, crânes des vanités) aux œuvres des peintres romantiques (La mort de Sardanapale de Delacroix ou Le radeau de la Méduse de Géricault...).
Alors pourquoi précisément ces photographies de Serrano provoquent un tel sentiment d'indécence ?
Les corps ne sont montrés que par fragments. Un corps dans son entier est un individu. Ici, les corps sont morcelés, décontextualisés à la fois dans le temps et dans l'espace (transportés hors du monde sensible, extatiques). Désincarnés de toute identité, ils me renvoient, scandaleusement, à un autre moi-même. Memento mori.
Les photographies de Serrano n'ont pas de visée documentaire. Elles sont encore moins du reportage. Le soin apporté au cadrage, à la prise de vue, aux couleurs, le format des tirages : il s'agit bien d'une démarche picturale. Mais à l'inverse de la peinture, la photographie réclame une contiguïté au réel. Une flagrante concomitance avec la mort. Obscène. Ici s'exhibe ce qui ne devrait pas être montré : la mort à l'œuvre.