Trois femmes sur la plage, vers 1905.


Elle a les cheveux dénoués et les pieds nus, et ce n'est pas rien, c'est quelque chose d'absurde, sans parler de cette petite tunique blanche et de ce pantalon qui laisse la cheville découverte, tu devinerais presque la minceur de ses hanches, c'est absurde, seule sa chambre d'épouse l'a vue ainsi, et pourtant, c'est bien ça, elle est là sur cette plage immense où ne stagne pas l'air poisseux de la couche nuptiale mais où souffle le vent de la mer, apportant avec lui l'ordonnance d'une liberté sauvage refoulée, oubliée, opprimée, avilie, pendant une vie entière de mère épouse aimée femme. Et c'est sûr : elle ne peut pas ne pas le sentir. Ce vide autour sans murs, sans portes closes, et devant elle, uniquement, cet excitant miroir d'eau sans limites, en soi ce serait déjà une fête pour les sens, une orgie pour les nerfs, mais tout reste encore à venir, la morsure de l'eau glacée, le choc sur la peau, le coeur qui bat la chamade...


Alessandro Baricco, Océan mer.