Damien Daufresne / Ressac

© Damien Daufresne

Une mer qui semble unie, ça et là dans le plan,
ça et là dans le temps - éclate un petit fait d’écume ;
un évènement candide sur l’obscur de la mer, ici
ou là ;
Jamais au même lieu ;
un épisode,
un indice de chocs entre des puissances invisibles
et des différences internes,
ça et là, ici ou là.
L’eau changée en neige, l’instant du choc changé
en blancheur, et le mouvement massif en désordre de gouttes
que l’ordre pesant résorbe aussitôt.

Paul Valéry - Poèmes et PPA (Petits Poèmes Abstraits), 1929



Le monde est là.
Je veux dire le ressac du monde, qui dans chaque photographie tantôt s'apaise tantôt se brise et s'entrechoque.
Et Damien Daufresne, regard émerveillé – émerveillé – est ébloui.

La vague s'abat sur les rochers, un arbre ploie inexplicablement sous l'injonction de la nuit, les corps se rencontrent et parfois se heurtent. Puis la consolation d'une autre vague, bordée d'écume lactescente, qui se love sur le sable, un ventre de femme lisse émerge à peine à la surface de l'eau, un incompréhensible oeil de baleine placide, une madone – comme une prière – au regard extatique, derrière la vitre d'un train...

La photographie est faite par des voyeurs ou des voyants.
Damien Daufresne est de ceux-là. Avec une pureté (je dis bien une pureté, c'est à dire une grâce sans imposture ni inquiétude, une modestie en quelque sorte, pas une naïveté ou une mièvrerie) du regard, il saisit des images qui sont autant d'épiphanies.
Par son regard porté, il décèle dans ses photographies des fulgurances : comme si soudain il mettait le monde en lumière. C'est là, un instant, et lui sait voir "le petit fait d'écume" : douceur, violence, incandescence mêlées.

Je suis bien incapable de le comparer au regard d'un autre, de lui trouver vraiment une parenté quelconque parmi les photographes. On pourrait jouer les rapprochements formels, peut-être, en y cherchant bien. Mais il a trouvé dans la photographie une langue autant qu'une écriture qui n'appartiennent qu'à lui, mystérieuses sans être hermétiques, un chant profond en somme.

Ses images sont bien des éblouissements. Si ce n'était des photographies, je penserais que cela n'a jamais été et qu'il l'a rêvé, peut-être. Elles sont pourtant là, contagieuses d'ivresse, comme autant de respirations saisies et immiscées entre le flux et le reflux, avant que la marée du temps, de la nuit, du mouvement qu'importe, ne se retire ou ne vienne tout recouvrir, qu'il n'y ait plus d'empreinte, de présage ou d'indice.
Mais il ne produit pas de preuves, il n'est ni sentinelle ni témoin. Il est juste là, comme en miraculeux équilibre à la lisière du monde, nous tenant en haleine, comme si nous n'avions jamais existé et que tout restait encore à venir.