Man Ray / Larmes, 1932/33

© Man Ray Estate








Dieu compte les larmes des femmes.
Talmud, traité Baba Métsiâ 59.

Voilà l'une des photographies les plus célèbres de Man Ray.
Ce que l'on oublie souvent, c'est que ces larmes eurent d'abord une vocation publicitaire. L'image fut en effet réalisée pour faire la promotion du mascara Cosmecil Arlette Bernard. Madame, pleurez au cinéma, pleurez au théâtre, riez aux larmes, sans crainte pour vos beaux yeux... 
Je laisse Clément Chéroux vous en dire plus :





Par l'opération des recadrages successifs du portrait de la danseuse d'abord pour la photographie publicitaire, puis pour la réalisation de ce que Man Ray considère comme l'œuvre elle-même se joue une bien étrange métamorphose : le visage devient regard isolé puis image cyclopéenne.
Le plan serré sur cet oeil féminin extatique, aux cils-tentacules chargés de noir, aux larmes factices-perles-bijoux (comme deux petits globes oculaires) qui se refusent à couler, vient créer une perte de repères par sa troublante proximité.
Madame pleure, mais que regarde-t-il cet oeil-vulve-animal ?
Le visage disparaît dans le hors champ de l'image pour ne laisser place qu'à une "vision" désincarnée et hermétique (elle se refuse à toute interprétation fictionnelle), exempte de dimension émotionnelle.
On se saura rien d'autre que la révulsion de l'oeil et le refus des lois de la gravité des larmes.