Nick Ut / Vietnam, 1972

 Fuite d’une fillette atteinte par les bombes au Napalm dans le village
de Trang-Bang, Sud Viêt-Nam, 8 juin 1972 © Huynh Cong Nick Ut


Le 8 juin 1972, des avions survolent le village de Trang-Bang. Une mère crie à ses enfants de fuir. Ils s'élancent sur la route. Des bombes au napalm sont larguées. Les vêtements de Kim Phuc, 9 ans, sont dévorés par les flammes. Nue, terrifiée, elle court en hurlant : brûlée au troisième degré, la peau de son dos tombe en lambeaux. Nick Ut se trouve là. Il photographie la fillette qui se précipite vers lui. Elle s'évanouit dans ses bras. Il la conduit à l'hôpital, lui sauvant ainsi la vie.
Parmi la somme des photographies existantes de la guerre du Vietnam, celle-ci est la plus marquantes. Est que ce sont les militaires américains ou vietnamiens qui ont lâché les bombes ? Peu importe. Cette photographie ne prend pas position contre l'un ou à l'autre des camps. Elle constitue un plaidoyer contre la guerre. On ne comprend pas, quand on regarde l'image, pourquoi l'enfant est nue et court en hurlant. Mais l'on comprend le conflit (les soldats et le nuage noir), la peur et la violence (les enfants qui fuient), la vulnérabilité (la nudité) et l'atrocité (le visage déformé par la douleur et la terreur). La fillette se précipite vers nous, comme elle s'est précipitée vers Nick Ut, et saisie dans la photographie, elle continue de nous hurler sa détresse.

Cette photographie a joué un double rôle dans l'histoire de la guerre du Vietnam. Elle a fait le tour du monde et son impact sur la suite du conflit a été considérable : elle a éveillé une partie de l'opinion américaine qui a basculé dans le camp des opposants à la guerre. Le prix Pulitzer a été décerné au photographe. La guerre terminée, la photographie et Kim Phuc, témoignant des horreurs commises par l'armée américaine, sont devenues des outils de propagande pour le gouvernement communiste vietnamien. Le statut de "protégée" du régime de Kim Phuc lui a permis de voyager. En déplacement vers Moscou, lors d'une escale au Canada, elle a demandé l'asile politique. Elle vit depuis à Toronto. Nommée en 1997 Ambassadeur de bonne volonté de l'UNESCO pour une Culture de la Paix, elle a créé une fondation venant en aide aux enfants victimes de la guerre.

Aujourd'hui, le travail des reporters de guerre est plus difficile : leurs images sont noyées dans le flot médiatique de l'information et du fait-divers et les belligérants comme les pouvoirs en place ont pris conscience de l'impact des images sur l'opinion internationale, aussi, ils s'efforcent de canaliser leur travail, leur interdisant l'accès aux lieux des conflits ou ne les laissant travailler que sous haute surveillance. Des photographes mettent chaque jour leurs vies en danger pour témoigner. Sans eux, nous resterions dans l'ignorance des atrocités commises. Force est de constater qu'il ne suffit pas de témoigner de la barbarie pour la combattre. Mais si les images de guerre ne sont pas un remède à l’horreur, elles nous contraignent à ne pas sombrer dans l'indifférence.


Extrait de mon commentaire paru in La grande aventure de la photographie, SCEREN-CNDP, 2005.