Manuel Alvarez Bravo / La bonne renommée endormie, 1938-39

© Archivo Manuel Alvarez Bravo

¿Qué es la vida? Un frenesí.                                                                       
¿Qué es la vida? Una ilusión,
una sombra, una ficción;
y el mayor bien es pequeño;
que toda la vida es sueño,
y los sueños, sueños son.

Qu'est-ce que la vie ? Une folie. 

Qu'est-ce que la vie ? Une illusion, 
une ombre, une fiction; 
le plus grand bonheur est peu de chose, 
car toute la vie est un songe 
et les songes valent ce que valent les songes

Pedro Calderón de la Barca, La vida es un sueño / La vie est un songe



Cobra buena fama y échate a dormir; cóbrala mala, y échate a morir.
(Acquiers une bonne renommée et allonge-toi pour dormir ; acquiers en une mauvaise et allonge-toi pour mourir.)
Proverbe mexicain

La belle tranquille, alanguie, s'abandonne toute entière au sommeil et au soleil. 
Mais se livre-t-elle pour autant au regard ? Elle n'est pas vraiment nue. Elle l'est peut-être plus. Le corps, voilé/dévoilé, montre ce que l'iconographie classique dissimule sous une feuille de vigne (symboliques ceintures de chasteté qui viennent recouvrir le pubis). Manuel Alvarez Bravo habille les hanches et les cuisses de son modèle, comme pour mieux en exposer le mont de vénus (érotique voilée/dévoilée). Surgissement du désirable.
Le corps n'en est pas moins entravé, hanches, cuisses donc, mais aussi pieds et poignets liés. La captivante jeune femme est ainsi captive de ses rêves et de ses bandages. Quelles mystérieuses plaies viennent-ils d'ailleurs panser ? Les plantes hérissées d'épines (qui semblent venir en rappel à ses seins dressés) dessinent une barrière qui tout à la fois la protège d'un possible intrus qui ferait irruption pour assaillir son corps ou son sommeil et l'emprisonne autant que ses bandages. Elle est aussi libre que contrainte. La mort et le sommeil, ces fidèles jumeaux...
Rien n'est finalement si tranquille.


Daido Moriyama / Hokkaido, 1978

© Daido Moriyama

Tout serait plus simple si on ne t'avait pas inculqué cette histoire d'arriver quelque part, si seulement on t'avait appris, plutôt, à être heureux, en restant immobile. Toutes ces histoires à propos de ton propre chemin. Trouver ton chemin. Suivre son chemin. Alors que si ça se trouve on est fait pour vivre sur une place, ou dans un jardin public, là sans bouger, à faire que la vie passe, si ça se trouve on est un carrefour, le monde a besoin qu'on reste là sans bouger, ce serait une catastrophe si on s'en allait, à un moment donné, suivre notre route, mais quelle route ? les autres sont des routes, moi je suis une place, je ne mène à aucun endroit, je suis un endroit. 
Alessandro Baricco, City

Juste une route, une échappée, vaguement luminescente vers un horizon incertain et un ciel lourd. Au sol, l'ombre noire de Moriyama se découpe.
Quelque chose de l'errance et de la désolation. D'une vague empreinte que le photographe laisse : finalement toujours un peu de lui qui vient s'inscrire confusément dans l'image, comme une prégnance récurrente et fantomatique au monde. Quelques bribes amassées de mémoire.
Il peut bien parcourir le monde, le photographe reste le lieu commun de la photographie.