Southworth & Hawes, Post Mortem, ca. 1846




[...] chaque mort, en disparaissant, emmène avec lui un peu des vivants qui l'entourent. Le père qui a perdu son fils, l'épouse restée veuve, celui qui a survécu à tous ses camarades. Le défunt avance aux enfers avec une longue traîne plaintive. Mais pour ces morceaux de vivants, pour ces bouts sanguinolents, il est interdit de pénétrer plus avant dans le pays des morts. La barrière des épineux les accrochent et ils restent ici pour l'éternité.
Laurent Gaudé, La Porte des Enfers.

Oui, allons dormir, le sommeil a les avantages de la mort sans son petit inconvénient. Allons nous installer dans l’agréable cercueil.
Albert Cohen, Le Livre de ma mère.


Ses paupières lourdes de sommeil, ses mains posées sur le ventre, ses petits pieds croisés... L'image de cette enfant au repos, paisible dans les plis du drap, dans la douceur de la lumière, emprunte tous les signes du sommeil. Pourtant, cette enfant qui repose n'est pas endormie. Elle est morte.
La photographie post mortem est une tradition du 19e siècle. S'il existe de nombreux portraits d'hommes célèbres sur leur lit de mort (Victor Hugo, Rodin, Eiffel etc), c'est surtout des images d'enfants qui jalonnent cette funèbre coutume. Rien d'étonnant, puisque les décès d'enfants, à la naissance ou en bas-âge, étaient fréquents. Le dernier portrait du défunt était souvent le seul et venait intégrer l'album de famille. La photographie, miroir avec mémoire, image de mémoire, encore plus ici. Image mettant en scène le mort en sommeil (parfois dans les bras de sa mère, ou accompagné de ses jouets) non pas le corps cadavre, mais le corps au repos (qui repose, en paix). 
La photographie, en extrayant l'instant du flux temporel, le fige, le retient, le conserve. Elle l'embaume, en somme,  et paradoxalement lutte contre le passage inexorable du temps. Petite résistance dérisoire à la mort au travail. Et ces photographies post mortem, chargées tout à la fois d'affect et de douleur, profondément bouleversantes, sont les derniers vestiges du défunt. Mettant en scène le sommeil, elles sont un ultime refus, autant qu'un ultime refuge : dans la mort déjà, garder pourtant une trace du vivant,  une petite éternité dans l'image, avant le dernier passage, de mort à trépas.

Le côté du derrière





Il subsiste en vous toujours un petit peu de curiosité de réserve pour le côté du derrière. On se dit qu’il ne vous apprendra plus rien le derrière, qu’on a plus une minute à perdre à son sujet, et puis on recommence encore une fois cependant rien que pour en avoir le cœur net qu’il est bien vide et on apprend tout de même quelque chose de neuf à son égard et ça suffit pour vous remettre en train d’optimisme.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout la nuit.


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Georgia O'Keeffe par Alfred Stieglitz

© Alfred Stieglitz


I know now that most people are so closely concerned with themselves that they are not aware of their own individuality, I can see myself, and it has helped me to say what I want to say in paint.
Georgia O'Keefee


Rarement photographe n'aura réalisé autant de portraits de sa compagne. 
Quand ils se rencontrent, Alfred Stieglitz, 54 ans, est un artiste reconnu, il publie la célèbre revue Camera Work et gère la galerie 291 à New York, Georgia O'Keeffe, de 23 ans sa cadette, après avoir poursuivi des études d'art, enseigne. Lorsqu'il voit les dessins de Georgia O'Keeffe pour la première fois, il s'écrie "At last, a woman on paper!" Sous ses encouragements, elle s'installe à New York, abandonne l'enseignement et entame une carrière d'artiste. Elle devient une grand figure de l'art américain. 
De leur amour restent plus de 300 images : Stieglitz la photographie de façon quasi obsessionnelle de 1917 à 1937. Ils échangèrent quelques 25000 lettres, certaines d'entre elles ont été récemment publiées.

All I want is to preserve that wonderful something which so purely exists between us.
Alfred Steiglitz


A lire : My Faraway One: Selected Letters of Georgia O'Keeffe and Alfred Stieglitz: 1915-1933, Yale University Press, 2011.